Aux armes de Boris Marme

jeudi 13 août 2020

Un beau matin à la fin de l’hiver, dans les couloirs d’un établissement scolaire américain, des bruits semblables à des tirs d’arme à feu résonnent subitement. Alerté, l’officier responsable de la surveillance, Wayne Chambers, accourt sur les lieux, mais demeure figé à proximité du bâtiment, derrière la porte où semblent se produire les déflagrations. Tétanisé, il hésite à en franchir le seuil. Doutes sur la provenance des balles? sur la conduite à tenir? peur? Quand la fusillade prend fin, il n’est pas entré dans les classes où sont étendus les corps de quatorze jeunes élèves, mais déjà réseaux sociaux et chaînes d’info s’emballent: la machine médiatique affûte ses armes. Une machine au service des voyeurs de l’actualité, des donneurs de leçon et des aspirants justiciers qui entendent s’ériger en tribunal populaire et faire un sort à cet homme que rien ne pouvait préparer à devenir un héros.


Ce livre, il a la force de frappe d’un coup de poing dans les tripes. Celui qui vient par surprise, et dont la douleur tétanise, se maintient et irradie dans tout le corps jusqu’à nous paralyser sur place. Ce livre, il soulève un malstrom de questions, et place le lecteur dans l’œil du cyclone. J’ai été ballottée en trois parties, entre étonnements, sidération et ahurissement. 

L’histoire, c’est celle du très ordinaire Wayne Chambers, un officier en charge de la surveillance d’un établissement scolaire, dont les états de service sont exemplaires. Il faut dire qu’il ne se passe pas grand-chose dans sa bourgade privilégiée, alors oui, il est apprécié et son autorité est entendue. Jusqu’au moment où des déflagrations se font entendre dans l’établissement, là l’ordinaire bascule. Wayne se précipite vers la source des coups de feu et arrivé à l’entrée du bâtiment, il ne se résout pas à y entrer. Le protocole ? La peur ? Ses raisons sont multiples et surtout humaines. 

C’est d’ailleurs ce qu’on va lui reprocher, d’être humain, de ne pas avoir été un héros. À partir de là, la course médiatique se met en branle, entre surenchère et harcèlement. Les faits n’ont plus d’importance, place aux interprétations et aux suppositions. Tout est transformé, tronqué, manipulé. Et surtout, tout le monde a son mot à dire. 

La chasse au responsable est ouverte. 
Wayne Chambers est jeté en pâture. 
La lecture devient frénétique. 

J’avais besoin de savoir jusqu’où irait l’opprobre populaire. Le déchaînement médiatique ? La désolidarisation institutionnelle ? J’ai vécu cette lecture comme une course-poursuite vers le déclin de l’humanisme. 

À quel moment la liberté d’expression a-t-elle pris ce virage qui écrase l’autre ? À quel moment certains médias se sont-ils délestés de leur rôle de chien de garde pour celui de fossoyeur ? Depuis quand favorise-t-on la haine dans la sphère publique ? Et d’ailleurs, depuis quand la haine s’installe-t-elle aussi facilement, aussi rapidement, aussi largement dans les « débats d’idées » ? 

Ce livre est nécessaire tant il fait mal à l’homme. 
Il le replace dans la chaîne alimentaire. Là où il redevient interchangeable et sacrifiable. 
Il remodèle la pyramide des besoins de Maslow et place l’accès à « l’information » dans les besoins physiologiques, et la diffusion de l’opinion individuelle dans les besoins d’appartenances, d’estimes et d’accomplissements. 
Ce reflet dans le miroir est douloureux. 


 
N'oubliez pas, c'est mon avis : Aimez, détestez, peu importe respectez.
Au plaisir.

 

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